Allocution à la radio de M. Devaux
Prononcée à la radio le 21 mai 1945

Voici enfin le terme du cauchemar de la captivité, et en même temps l’aurore de la paix tant attendue.

C’est avec joie et soulagement, au nom de la Fédération nationale des Prisonniers de guerre que j’adresse mon salut et le salut de tous les prisonniers rapatriés à tous ceux, qui, maintenant, sont devenus des anciens prisonniers.

Certes, je sais que vous attendez encore en Allemagne le jour de votre rentrée en France, et je comprends à la fois toute votre anxiété et celle de vos familles.

Mais, tout de même, il nous est permis aujourd’hui de parler avec un sentiment profond de joie et de détente, car vous êtes délivrés, et la captivité a pris fin.

J’adresse l’expression profonde de notre gratitude au général de Gaulle, qui n’a jamais douté du destin de la France.

J’adresse aussi et du fond du cœur nos remerciements aux armées françaises et alliées qui ont permis votre libération.

Il m’appartient aujourd’hui de vous faire un compte-rendu exact de nos activités depuis que les tâches de représentation des prisonniers de guerre nous ont été confiées.

Le but essentiel que nous avons poursuivi et je l’indique en tout premier lieu, a été de garder aux prisonniers de guerre, au moment de leur retour, des organismes purs et nets et des cadres d’action qu’ils puissent utiliser à leur convenance. Quels sont ces organismes ?

Naissance de nos Associations

Ces organismes sont essentiellement les Associations de prisonniers de guerre dont la compétence est départementale, et dont la coordination se fait à l’échelon national par une Fédération nationale des prisonniers de guerre.

Il n’est pas inutile de préciser comment sont nées ces Associations de prisonniers de guerre, ce qui est l’essentiel de leur histoire.

Dès que les premiers prisonniers ont été rapatriés, ils ont senti la nécessité de se grouper pour, à la fois, aider les familles de leurs camarades encore captifs, et apporter à ces derniers toute l’assistance qu’il était possible de leur donner.

C’est ainsi que sont nés les Centres d’entraide qui se sont développés dans toute la France avec les objectifs sociaux que je viens de définir.

Au moment de la Libération il existait en France 11 000 Centres d’entraide répartis dans tout le pays.

Dans le même temps, les prisonniers ont senti le besoin de se regrouper par camp, principalement dans les grands centres, et c’est ainsi qu’ont pris naissance les secrétariats de camps transformés, après la libération, en Amicales des camps, et coordonnées, à l’heure actuelle, par une Union nationale des Amicales de camps.

Ainsi donc se sont formées deux séries d’organismes à objectifs sociaux : d’une part les Centres d’entraide répartis horizontalement sur toute la France ; d’autre part, les Secrétariats de camps groupant, verticalement par camp, les prisonniers.

Ces organismes, mes Camarades, ont fonctionné le mieux qu’ils ont pu dans les cadres officiels du gouvernement de Vichy et en apportant à leur action un esprit de résistance très net contre l’occupant et contre les entreprises de Masson, créature du Dr Braun, qui essaya, sans y réussir d’entrainer les prisonniers vers le déshonneur de la collaboration. Ils ont été d’autre part, et très largement des Centres d’entraide aux évadés qui venaient se confier à eux. Mais, dès la fin de 1942, des camarades se sont groupés dans la clandestinité pour former le mouvement de résistance prisonniers qui s’est appelé le « Mouvement national des prisonniers de guerre et déportés ». Assumant tous les risques de l’existence traquée de ceux qui luttaient implacablement contre l’allemand, formant des corps francs dans  le maquis, se taillant une place glorieuse dans la libération de la France, le M.N.P.G.D. s’était assigné comme tâche la défense et l’honneur français des prisonniers et y a magnifiquement réussi.

Après la libération, d’un même accord, éléments prisonniers de M.N.P.G.D. et Prisonniers des Centres d’entraide décidèrent de fusionner dans ces Associations départementales dont je vous entretenais il y a un instant et qui existent à l’heure actuelle dans tous les départements de France, de la même manière l’action des prisonniers s’unifie, et l’Union nationale des amicales de camps va adhérer à la Fédération nationale des prisonniers de guerre, tout en conservant ses cadres d’action autonomes.

Voici donc, très largement esquissée, l’architecture de l’organisation prisonniers à l’heure actuelle. Chaque Association départementale est dirigée par un comité directeur, élu au suffrage universel de tous les prisonniers.

La Fédération est dirigée par un comité fédéral, où les Associations sont largement représentées ; ce comité fédéral est également élu au suffrage des délégués de chaque Association.

Les élections

Dès que vous serez tous rentrés, et cela est très bientôt, des élections générales auront lieu dans les Associations et à la Fédération pour que toutes les équipes de camarades qui ont assumé jusqu’à présent des tâches de direction de vos Associations puissent vous les remettre intégralement et en confier la direction générale à ceux de vos camarades tout récemment rentrés des camps que vous aurez désignés.

A seule fin de garder intacts pour vous les cadres de votre action future : les Associations et la Fédération se sont déclarées dans leurs statuts indépendantes à l’égard de tout gouvernement et de toute politique. Afin de marquer également qu’elles n’entendaient pas se substituer à vous dans les domaines essentiels de la pensée et de l’action, la Fédération et les Associations, après avoir marqué leur réprobation au sujet des élections municipales qui viennent d’avoir lieu, en votre absence, ont décidé qu’aucun prisonnier de guerre rapatrié ne pourrait  se présenter à ces élections au nom des Associations ou de la Fédération, c’est-à-dire ne pourrait engager par une politique personnelle la masse des prisonniers non encore rentrés de captivité. C’était là une simple question d’honnêteté, n’est-ce pas ?

Une tâche immense

Les tâches que s’assignent à l’heure actuelle ces groupements de prisonniers sont d’aider les Pouvoirs publics à l’accueil et au reclassement, ainsi que d’assurer la défense des intérêts de tous les prisonniers. Ce sont là des tâches énormes qui absorbent l’activité de ceux qui se sont fait inscrire à nos Associations  et qui leur permettent de répondre à cet engagement qui était au fond de leur cœur lorsqu’ils ont été libérés, à savoir de ne pas se considérer comme démobilisés avant que leurs camarades ne soient tous rentrés d’Allemagne.

D’autre part, nos Associations et notre Fédération ont pour objectif moral de préserver au maximum  les constantes de l’esprit prisonnier qui sont, et vous le sentez mieux que nous, vous qui êtes encore là-bas, l’esprit de solidarité et d’amitié au-delà de tous les cloisonnements sociaux et politiques, le sens de l’honneur français, la dignité de l’homme et du travail, la justice sociale et l’amour  éperdu de la libre culture et de la liberté.

J’en appelle à vous pour, le plus rapidement possible, venir relever ceux de vos camarades qui assument pendant votre absence  les tâches de direction de ces Associations et de la Fédération. Il est essentiel que la pensée et l’action des prisonniers soient représentées authentiquement , et seuls ceux qui reviennent à l’heure actuelle de captivité ont qualité pour parler à cet égard.

Dans tous les domaines de sa reconstruction, la France a besoin de vous. Je sais que vos premiers contacts avec la patrie vous déçoivent. Je sais que vous trouvez qu’on y discute trop, qu’on y travaille peu, que les querelles intestines ravagent au seuil même de sa reconstruction cette nation qui a besoin de calme, de paix et d’ordre.

La France a besoin de vous

Je connais vos déceptions, mais je vous dis qu’il faut que vous fassiez passer dans le pays tout le grand courant qui vous vient de cette force de conscience et de ce nouveau moral que vous avez puisés dans la captivité.

La France a besoin de vous, et il est conforme à l’esprit prisonnier que vous ne lui marchandiez pas votre concours.

Méfiez-vous de l’accaparement pour des fins personnelles de la force que vous représentez. Pensez aussi à la leçon des événements qui ont suivi la guerre de 1918. Partout où vous allez rentrer, dans vos familles, dans vos professions, dans les partis politiques auxquels vous appartenez, dans les confessions qui sont les vôtres, faites prévaloir ce besoin d’union, ce goût de l’effort dans le travail, dans le sacrifice, dans la discipline nationale, qui sont vertus familières aux prisonniers. Faites aussi rayonner autour de vous cette amitié de l’homme pour l’homme qui est le signe même de notre civilisation, ce respect que vous avez appris en captivité pour tout adversaire politique dont vous avez combattu ce que vous croyiez être des erreurs de pensée  et des atteintes à la vérité, mais avec lequel vous n’avez jamais cessé de dialoguer en toute confiance. Alors la France, sur le chemin de sa grandeur à reconquérir sera puissamment aidée par votre concours.

Méfiez-vous aussi de la sensiblerie qui se couvre des apparences de la charité. Ouvrez les yeux de ceux qui, dès aujourd’hui reprennent, inconsciemment j’espère, le langage de la trahison vis-à-vis des Allemands. Faites attention aux sophismes brillants qui masquent la lâcheté.

La justice, la simple justice, veut que l’Allemagne soit châtiée. Il ne s’agit là que de justice ; ce n’est point une œuvre autre qu’œuvre de justice. La justice veut aussi que la France, pays libre, puisse vivre en paix et que sa sécurité soit assurée. Il n’est pas besoin de vous le rappeler, mais vous savez comme moi – car vous vous êtes posé la question – que si l’Allemagne avait gagné la guerre, la plupart d’entre vous n’auraient jamais regagné la France.

Ce n’est pas moi qui le dit, c’est Charles Péguy, mort pour la France en septembre 1914, qui écrivait peu de temps avant la guerre de 14-18 :

« On peut dire que dans le monde moderne les Français sont les représentants éminents de la race chevaleresque et que les Allemands sont les représentants éminents, et peut-être les seuls, de la race de domination. Et c’est pour cela que nous ne nous abusons pas quand nous croyons que tout le monde est intéressé dans la résistance de la France aux empiètements allemands. Et que tout le monde périrait avec nous. Et que ce serait le monde même de la liberté. Et ainsi que ce serait le monde même de la grâce. Jamais l’Allemagne ne referait une France. C’est une question de race. Jamais elle ne referait de la liberté, de la grâce, Jamais elle ne referait que de l’empire, de la domination ».

Vos épreuves, mes camarades ont été lourdes ; mais pas une de vos souffrances, n’est-ce pas, n’a été perdue, pas une de vos larmes, pas un de vos efforts, pas une de ces nombreuses victoires que vous avez gagnées sur vous-même et sur l’ennemi, puisque la patrie est sauvée.

Vous avez maintenant plus que d’autres le devoir de ne pas vous reposer. La captivité vous a découvert vos responsabilités d’homme total, c’est-à-dire vos responsabilités de conscience personnelle, de père de famille, de professionnel et de citoyen.

Il n’y a pas à perdre de temps, mes Camarades, la France a grandement besoin de vous.

Paru sur le PG N° 1 (voir PDF)